Lorsqu’une opération de coup d’accordéon est prévue dans le jugement arrêtant le plan de redressement, la désignation d’un mandataire ad hoc, sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile, postérieurement à l’arrêté du plan, permet de passer outre l’opposition des associés récalcitrants.
L’arrêt rendu par la Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 novembre 2023 (n°22-16.362) met en exergue la possibilité ouverte à une société de contrer le pouvoir de nuisances des associés
récalcitrants en sollicitant la nomination d’un mandataire ad hoc, avec pour mission de voter en lieu et place des actionnaires opposants, permettant ainsi la mise en œuvre d’une opération de coup d’accordéon.
Une société dont le capital se décompose en 30 607 actions détenues par plus de 60 actionnaires, est placée en redressement judiciaire, un administrateur judiciaire étant désigné dans le cadre de la
période d’observation.
Un plan de redressement est arrêté prévoyant des mesures de restructuration financières qui consistent en une réduction de capital social à zéro suivi d’une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, par l’émission de 100 000 actions ordinaires au profit d’une société tierce. Par l’effet de la contribution aux pertes, l’opération tend donc à faire perdre aux associés la totalité de leur titre et à les exclure de l’augmentation de capital.
Le jugement arrêtant le plan étant devenu définitif, une assemblée générale est convoquée visant à mettre en œuvre les mesures de restructuration financières prévues dans le plan de redressement. Ces résolutions sont rejetées par les actionnaires en place.
La société les assigne devant le président du Tribunal, statuant en référé, aux fins de voir juger que leur opposition constitue un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser puisqu’il expose la société à un dommage imminent (à savoir la liquidation judiciaire).
Elle demande également la désignation un mandataire ad hoc, chargé de voter en lieu et place des actionnaires minoritaires, dans le sens que commande l’intérêt social lors de la prochaine assemblée générale extraordinaire.
Il est fait droit à la demande de la société, raison pour laquelle les actionnaires opposants ont formé un pourvoi en cassation, en invoquant notamment l’article L631-9-1 du Code de commerce.
L’article précité dispose que « si les capitaux propres n’ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l’article L. 626-3, l’administrateur a qualité pour demander la désignation d’un mandataire en justice chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l’administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d’une ou plusieurs personnes qui s’engagent à exécuter le plan ».
Les demandeurs au pourvoi soutiennent qu’une opération d’accordéon ne peut être imposée sur le fondement de l’article L631-9 du Code de commerce et que, de plus, l’opération projetée ne permet pas d’atteindre les seuils légaux en termes de reconstitution des capitaux propres.
La Cour de cassation écarte ce moyen en relevant que l’assemblée générale appelée à autoriser les mesures de restructuration financières s’est tenue postérieurement à l’arrêté du plan, de sorte que les articles L631-9-1 et L626-3 du Code de commerce sont inapplicables. En l’espèce, ce n’est pas l’administrateur judiciaire qui a sollicité la désignation d’un mandataire ad hoc sur la base du projet de plan.
En effet, la Cour souligne le fait que la demande a été présentée par la société, après l’arrêt du plan de redressement, sur le fondement d’une disposition de droit commun et précisément de l’article 873 du Code de procédure civile.
La Cour relève ensuite que l’existence du trouble manifestement illicite et du dommage imminent se trouvait caractérisé en ce que l’opposition des minoritaires se justifie de leur intérêt exclusif et que l’usage du droit de votre apparaît abusif en ce qu’il fait obstacle à la mise en œuvre des mesures de restructuration financières jugées indispensables au redressement de la société et en cela, à sa survie.
Cet arrêt à le mérite de mettre en évidence les outils à disposition de la société qui fait face à des conflits internes et notamment des abus de minorité, pouvant conduire à des situations de blocage qui viennent menacer sa survie.
Il est en effet possible de surmonter l’opposition des minoritaires lorsque l’intérêt social le commande, que ce soit sur le fondement de dispositions spécifiques aux procédures collectives pendant la période d’observation ou sur le fondement du droit commun, une fois le plan de redressement arrêté.
C’est également l’occasion de voir de nouveau rappelée la primauté de l’intérêt social sur celui des actionnaires.